Apprendre la musique, ça vient d’une idée de ma mère. Quand elle était jeune, elle n’a pas eu cette occasion à cause de la révolution culturelle. C’était son rêve de jouer un instrument. Je suis enfant unique comme beaucoup d’enfants qui sont nés après 1980 en Chine. Ma mère pense que la musique sera mon meilleur ami qui m’accompagne toute la vie, pour éviter la solitude d’enfant unique dans cette société. Elle a bien raison !
Quand j’avais 4 ans, j’ai commencé mon premier instrument, le violon, un quart de violon bien sûr. Le professeur était d’origine coréenne, M. Jin qui enseigne au conservatoire. Ma mère m’emmenait en vélo une fois par semaine chez lui, pour prendre un cours privé. Je n’ai pas de souvenir que les cours soient dur, que les morceaux soient difficiles etc. C’était plutôt les exercices chaque jour surveillés par ma mère qui étaient très durs, car je n’avais pas envie de travailler. Ma mère m’a dit plus tard, M. Jin m’aimait beaucoup, parce que j’ai de très bonnes oreilles. Au cours, il jouait une phrase, je répétais tout de suite au violon, c’était « facile ». Je me souviens très bien, il y avait un grand labrador chez M. Jin. Chaque fois il vient à la porte pour nous accueillir chaleureusement, avec sa queue qui balance, ses pattes qui sautent sur mes épaules. Mais quand il entend de la musique, il se cache tout de suite sous le grand canapé du salon. Il était entraîné de cette façon pour qu’il ne dérange personne au travail. C’était un véritable chien modèle chez un musicien professionnel.
Malheureusement, j’ai abandonné mon violon pour le piano quand j’avais 6 ans. M. Jin était très déçu, il imaginait que je puisse continuer et puis dans quelques années, entrer dans son établissement. Ma vraie raison de ce changement était très simple : en comparant la posture du violon, la tête penchée, souvent debout, je préfère être assise au piano.
Mes parents m’ont acheté un piano droit, de la marque Pearl River. Ça coûte 3500 yuans, à l’époque mes parents gagnent 400 yuans de salaire par mois. Mme Zheng, une amie de M. Jin, vient chez nous pour me donner un cours par semaine. Comme j’ai déjà les bases de violon, j’ai commencé à jouer des morceaux très rapidement. Dans la méthode de débutant comme « Thompson », j’avance d’une dizaine de morceaux chaque cours. Je suis passée par les méthodes de Czerny 599, 849, 299, 740, et de Hanon, des tas de choses techniques, mais pas très intéressantes musicalement. Ma mère m’impose une heure de piano par jour, elle me surveille, même en week-end. Ce sont les plus douloureux moments de mon enfance, la cause d’engueulades et de punitions. Ce travail forcé a complètement cassé mon plaisir de jouer du piano. Je n’ai eu aucun sentiment dans la musique, jouer les morceaux était un devoir, je sentais la haine et la colère, j’imaginais même casser mon piano avec un gros marteau… À l’âge de 12 ans, j’ai arrêté les cours de piano avec Mme Zheng. J’étais contente de fermer le couvercle de mon piano pour ne plus y toucher.
Dans mon adolescence, j’écoute beaucoup de chansons de variété qui sont à la mode à l’époque. J’ai mon groupe d’idoles et plusieurs chanteurs préférés. J’écoute ces chansons en faisant mes devoirs tous les jours, je chantonne avec. Je demande à ma mère pour apprendre à chanter. J’ai commencé les cours de chant privés avec une professeure retraitée du Conservatoire de Chine. Rapidement je suis entrée dans un lycée spécialisé en musique. (Je vais parler de mon parcours en chant dans un autre article.)
Dans ce nouveau lycée, on a des cours de piano comme deuxième instrument. Après environ 3 ans à ne plus toucher une seule note, je me suis assise devant ce vieil ennemi. Quand j’ai ressorti mes anciennes partitions, j’ai trouvé que dans certaines pages, il y a des traces que j’ai raclé dessus avec mes crayons. Ces entailles énormes et profondes sont comme des blessures cachées, ce sont mes marques de souffrance. J’ai repris quelques sonates de Clementi et Mozart, leur légèreté élégante n’est pas du tout déplaisante. Comme j’ai déjà une base de technique, ma professeure de piano m’a donné pas mal de jolis morceaux à jouer. Schubert, Satie, Debussy, Schumann, Beethoven… Leur richesse dans l’harmonie, la nuance me plaît vraiment. La musique commence à me parler, en même temps j’essaie de communiquer avec elle par mes doigts. J’achète beaucoup de partitions pour déchiffrer toute seule. C’était mon loisir préféré de découvrir et « conquérir » ces musiques inconnues. Mon piano est devenu mon meilleur ami, on discute, on partage, on voyage ensemble. À travers la musique, je vois les couleurs, les images, j’invente les histoires.
Moi, une enfant qui n’aime pas sourire aux gens, qui a l’air toujours sérieuse. La musique est mon refuge, ma sensibilité, mon émotion. Il n’y a que la musique qui peut me faire pleurer.
Avec le chant classique, ça m’ouvre encore plus de curiosité culturelle, j’ai senti qu’un nouveau monde m’attendait. Dans ce monde, il y a la joie, la tristesse, la solitude, la passion… Je peux vivre dedans sans avoir le regard des gens, sans m’efforcer d’interagir avec les autres. C’est un monde à moi, seulement à moi. On peut même partager notre plus sombre secret sans avoir de jugements, je me sens en sécurité.
La musique est la plus grande obsession de ma vie, ce n’est pas par hasard que j’ai choisi la musique comme métier. J’ai de la chance de vivre avec ma passion. Je remercie infiniment mes parents. Payer des années de cours de musique privés, m’accompagner au cours chaque semaine, me surveiller quotidiennement pour que je progresse… Ce qu’ils m’ont consacré était inimaginable. Sans leur soutien et leur esprit ouvert, je ne sais pas ce que j’aurais fait, et comment j’aurais vécu.
Par rapport à mon autisme, la musique montre mes meilleures qualités qui ne sont pas forcément agréables et pratiques dans la vie quotidienne : l’hypersensibilité, l’exigence, la perfection… La musique me parle, je parle par la musique. Ça rejoint la méthode de musicothérapie, la musique peut devenir un outil de communication. Ma prochaine étape, j’ai envie d’aider les autistes dans leur apprentissage musical. J’espère que mon parcours peut donner une référence, pour les encourager à découvrir, à aimer la musique.