Je me souviens quand j’étais petite, j’aimais bien grimper sur les tables, les étagères, les meubles… Je n’aimais pas sourire aux gens, je n’ai que des photos où je fais la tête. Je ne jouais pas avec les autres enfants, je restais à côté à les regarder jouer. Quand les amis de mes parents venaient manger à midi, s’ils n’étaient pas encore arrivés à 12h03, je faisais une crise de colère en leur souhaitant de mourir en chemin. Je détestais la foule, le soleil. J’adorais rester sous mon parapluie noir. Quand j’entendais des pas dans le couloir, je reconnaissais bien ceux de mes parents ou des voisins par leur rythme. Quand j’entendais le son fort de la télé, ça m’arrachait les cheveux. Mon moment préféré, c’était chaque soir avant de dormir, mon papa venait serrer ma couverture très fort, pour m’envelopper comme dans un cocon…
Je me demande comment ma mère ne s’est jamais posé des questions sur toutes ces singularités. Ma super maman trouve toujours les raisons qui lui conviennent. Quand je grimpe sur la table à manger, c’est que je suis sportive. Je ne souris pas, ne joue pas, car je suis une fille sérieuse. Ma rigidité ne supporte pas le retard, c’est parce que j’ai hâte de voir ces invités, donc je suis accueillante de tout mon bon cœur. J’ai les oreilles très sensibles grâce à mon éducation musicale… Là, j’ai envie d’applaudir. Dans les années 80, on n’entendait pas parler de l’autisme. Quand on n’a pas les connaissances nécessaires, on n’a pas de repères. Ma super maman a réussi à contourner ces indices dans un sens positif. Mais la conséquence du retard de mon diagnostic a provoqué une énorme fatigue. J’ai vécu mon quotidien dans mon camouflage, j’ai cru que c’était normal, que tout le monde subissait ces complications.
J’ai rencontré une maman qui soupçonne que sa fille adolescente est autiste. Je lui ai demandé pourquoi elle ne voulait pas faire le diagnostic. Elle a répondu : « Ce n’est pas important, peu importe ce qu’elle a, je l’aime ». L’amour est magnifique… Mais non, je crois plutôt que l’amour est bête et aveuglant. Elle ne pense pas qu’un jour sa fille doit faire sa vie. Être diagnostiquée, pourrait l’aider à mieux connaître et gérer ses difficultés ; être mieux orientée et aidée par des professionnels ; mieux comprise et acceptée par son entourage ; mieux développer ces points forts. Parce que le plus grand effort de tous les jours, c’est nous-même, les personnes autistes, qui devons le faire, pas notre maman.