Quand j’étais petite, on habitait à côté de l’Université de Langues Étrangères. Parfois mes parents n’avaient pas le temps de s’occuper de moi, alors j’emportais des nouilles sautées de la cantine de l’université. Je me mettais sur la pointe des pieds pour passer ma boîte à la dame au guichet. Elle remplissait bien la boîte, en me disant « Attention à ne pas la renverser en chemin ». C’était chaud, il y avait les émincés de porc et des légumes, avec un goût de sauce soja.
J’aime toujours l’odeur de cantine, l’odeur des nourritures mélangées me réconforte.
Au moment du nouvel an chinois, l’odeur de ciboulette se propage dans toute la ville : au marché, dans les transports en commun, dans les couloirs des immeubles. A Pékin, la ciboulette est un ingrédient indispensable des raviolis. Dans la nuit du réveillon, on fait des pétards et des feux d’artifice, on joue au Mah-jong, on grignote. Et puis on fait des raviolis de porc à la ciboulette tous ensemble. Le matin, on les sert comme premier repas d’une nouvelle année.
En mangeant ces raviolis bien chauds, trempés dans la sauce vinaigre et soja, c’est la chaleur de ma famille que je mâche dans la bouche. La farce faite par ma mère a un goût unique pour moi, personne ne peut le copier.
Il y a 3 ans, je suis retournée au Conservatoire de Chine, voir mon ancienne cheffe de chant à l’époque. Elle est devenue la cheffe du département d’accompagnement de piano.
À midi, on a mangé dans la cantine du conservatoire. Des plats sont derrière les vitrines des présentoirs, bien alignés dans les grands bacs en inox. Il y a tellement de choix. Ça m’a rappelé les 4 ans d’études au conservatoire. J’ai dû sourire de bonheur devant ces vitrines.
Quand on a mangé, il y a ses élèves qui passent, qui lui disent « Bonjour » timidement. Quand j’étais son élève, j’aurais sûrement fait pareil, je n’osais pas m’asseoir à côté d’elle pour manger.
Devant cette personne que j’aimais secrètement il y a 20 ans, ces plats fades n’ont aucune importance. On a parlé de tout, comme si on avait envie de rattraper ce temps qui nous a séparé. Elle est fière de moi, et me soutient comme toujours.
On a rigolé qu’il y avait une fois, on avait travaillé jusqu’au tard : elle m’avait emmené dîner chez elle, avait fait un plat de bœuf avec les piments blancs de sa région du sud. J’ai dû sortir de chez elle avec mon estomac brûlant, et mes lèvres gonflées. C’était un repas inoubliable.
Quand je suis rentrée en France, j’ai raconté ces retrouvailles à ma copine. Je n’ai même pas fini de dire ma phrase, que je me suis mise à pleurer dans ses bras… ce qui ne m’était jamais arrivé.