On peut commencer par un scénario bien réel : je marche tranquillement dans la rue, une enfant de 3 ou 4 ans marche pas loin de moi, avec une glace dans sa main. Elle tombe tout à coup, sa glace est jetée par terre. Elle se met à pleurer très fort. « La pauvre glace, elle mérite mieux que ça », je me dis dans ma tête. Je regarde la petite fille sans aucune sensation, ni de réaction. Je vois que ses parents l’ont remarqué, et puis les autres passants vont intervenir pour l’aider à se relever. Je continue mon chemin tranquillement. Ou situation B, je vois qu’il n’y a personne qui a vu cette scène. Donc personne ne va m’accuser de ne pas aider cette fille : je continue mon chemin tranquillement, elle se débrouillera.
Quand les gens me demandent l’heure ou le chemin, ça me soûle. Je n’ai pas du tout de plaisir à les aider.
Quand je vois les gens qui pleurent, quel ennui ! Ça me laisse sans voix. Ils expriment leur émotion de cette façon si forte, comme s’ils voulaient me forcer à réagir, mais de mon côté, leurs problèmes ne m’intéressent pas: c’est désagréable de faire semblant d’avoir de la compassion.
Parfois ma copine se met à pleurer devant un film : je rigole en lui rappelant que ce n’est qu’un film, ce n’est pas vrai. Et puis elle se met en colère contre moi.
Quand je passe devant la caissière idiote et brutale de chez Auchan, j’imagine que je l’étrangle, avec mes doigts qui s’enfoncent dans son cou. « Non, c’est long de l’étrangler, je n’ai pas assez de force. Peut-être que je l’égorge avec un couteau ? Son sang va salir mes habits, beurk… ».
On peut dire que je suis une méchante personne froide. Quand les gens m’énervent, je suis capable de les attaquer avec une colère infernale. Ma copine dit que je suis extrême. Pas vraiment, c’est juste que je choisis le pire pour les blesser.
Ça m’arrive aussi de couper très net le lien avec les gens que je connais, sans aucun regret, déterminée. J’avais une amie chinoise, quand elle est rentrée en Chine pour ses vacances, je lui ai demandé d’apporter quelque chose pour mes parents. Elle a eu 3h de retard au RDV, sans prévenir : mes parents ont dû l’attendre dans une station de métro pendant 3h ! Cette amie est connue pour être en retard, mais je n’aurais pas imaginé autant. Surtout après qu’elle est rentrée en France, je l’ai invitée au resto pour la remercier. Quand je lui parle de son RDV avec mes parents, en espérant avoir une excuse : « Oh, oui, j’étais en retard », comme si ça la faisait rigoler. Depuis, je n’ai plus adressé un mot à cette amie. J’ai enlevé son numéro de mon téléphone.
Quand les gens me posent des ennuis, je jette leur existence comme un vieux chiffon. Au lieu de les maltraiter et les culpabiliser, je préfère les supprimer de ma vie.
En même temps, je suis une bonne prof bienveillante. J’assure ma responsabilité et mon efficacité dans mon travail. Mes élèves, je les aime ou je ne les aime pas, mais je suis là pour leur rendre service. Ils peuvent avoir confiance en moi.
Je suis capable de pleurer en écoutant une musique ou en voyant des animaux qui souffrent.
Ma famille me tient toujours à cœur. J’appelle mes parents tous les deux jours, je leur raconte plein de choses. Si un jour ils ont besoin de moi, je peux abandonner tout ce que j’ai en France, rentrer en Chine, pour rester à leurs côtés.
Avec les gens que j’aime bien, je suis ouverte et généreuse. Je prends soin d’eux, même si je ne suis pas sûre que j’arrive vraiment à partager leurs joies et leurs douleurs. J’ai deux amis proches, je suis prête à tout leur donner s’ils sont en difficulté. Je rêve qu’on puisse vieillir ensemble en gardant notre précieuse amitié jusqu’au bout.
J’ai demandé à ma psy si je suis une sociopathe, si un jour je tuerais quelqu’un. Elle m’a rassuré que non : en fait, j’ai seulement des difficultés avec l’empathie. Je bascule entre mon côté noir et blanc, je me sens perdue de temps en temps. Je ne suis pas vraiment quelqu’un de bien comme le croient les gens proches qui m’estiment : mon côté sombre me hante.
En même temps, je trouve que ce n’est pas juste qu’on pense que je suis méchante, juste parce que je n’arrive pas à être gentille avec des inconnus : au fond de moi je sais que je suis capable d’être aimable, mais pas dans ces conditions-là ou avec ces gens-là.
C’est pour ça que je n’apprécie pas les relations humaines : ça crée des complications à l’intérieur de moi-même, déjà.