Mes parents habitent dans un quartier d’habitation de 5 rangées d’immeubles. Il y a environ 300 familles qui vivent là depuis 2 générations. Comme notre appartement appartenait à mes grands-parents, ma mère a grandi dans ce quartier. Ici elle retrouve encore ses copains et copines de collège ou de lycée. Tout le monde se connaît : quand ma mère se balade dans le quartier, elle peut prendre 2h pour discuter avec les différentes personnes.
Quand je rentre en Chine, tout le monde du quartier sait que je suis « la fille de XX », mais moi, je ne connais pas tout le monde. Ça m’est arrivé de passer devant une dame très âgée qui m’a dit « Ah ! Tiens, tu es rentrée de France, comment ça va ? ». J’ai discuté 5 minutes avec elle sans savoir qui c’était.
Quand on croise des gens là-bas, la façon de saluer est particulière. On demande « Tu as mangé ? », « Tu vas où ? », « Qu’est-ce que tu viens d’acheter là ? » (si on voit que la personne a des courses à la main), « Oh, il finit tard ton boulot »… Ça lance facilement les conversations. Moi, je n’ai plus cette habitude, ni envie de m’engager dans une conversation infinie. Quand je dis simplement un « Bonjour », ça surprend les gens, ils ne savent pas quoi répondre.
Dans les premières nuits après être arrivée chez mes parents, j’ai eu du mal à m’endormir à cause du décalage horaire. À 5h du matin, j’ai entendu une femme crier. En gros, le contenu était : vous êtes tous des merdes, vous voulez me faire mal, je vais vous tuer, œufs de tortue (équivalent de connard)… Sa voix était pointue et puissante, ça a duré 30 minutes. Le soir, quand je me suis baladée avec ma mère, j’ai entendu à nouveau cette femme qui crie. Ma mère m’a dit que c’était une folle, qui crie le matin, la journée, dans la nuit, à n’importe quel moment. Tout le monde a l’habitude, on l’écoute comme une chanson douce. J’étais fascinée par la résistance de cette voix. J’imagine que si je criais pareil, je ne pourrais plus faire mon métier.
Ma mère m’a raconté que dans l’immeuble en face de chez nous, il y a une autre folle qui crie aussi, mais pas de la même façon. Car cette deuxième folle tape le rebord de sa fenêtre avec sa chaussure en même temps qu’elle crie, donc ça fait plus de bruit. J’ai eu l’honneur d’entendre cette deuxième dame à plusieurs reprises. Sa voix était plus sombre. Le contenu appuie toujours sur le mal et la vengeance, mais elle n’utilise pas les mêmes gros mots. J’étais très curieuse de savoir si ces deux dames criaient en même temps, est-ce qu’elles se répondraient ? Se soutiendraient ou se disputeraient ?
Dans mes nuit blanches, j’ai remarqué que la fenêtre du voisin, qui fait l’angle avec ma fenêtre, était allumée toute la nuit. Je me suis dit « Tiens, je ne suis pas la seule a avoir du mal à m’endormir ». Le lendemain j’ai entendu ce voisin qui parlait au téléphone : « Papa, maman, vous allez bien ? ». Mon papa m’a dit « Tiens, c’est un fou ». « Comment ça ? » j’ai demandé. Mon papa m’a répondu : « Ses parents sont morts depuis 20 ans ».