Je suis rentrée en Chine pour un mois. Après trois ans et demi de Covid, les retrouvailles familiales deviennent très précieuses. Mes parents ont vieilli, leur santé s’est fragilisée, ils bougent moins qu’avant. Il fait très chaud en été, l’humidité est souvent très élevée, l’air est tellement lourd que ça ne donne pas envie de sortir et rester dehors. On reste souvent chez nous sous la climatisation.Je m’ennuie un peu, mais heureusement avant de rentrer, je m’étais préparée psychologiquement : mon but était d’accompagner et passer plus de temps avec mes parents, j’avais bien imaginé que je m’ennuirais, qu’il me faudrait beaucoup de patience. En plus, c’est moi qui dois me réintégrer dans leur vie au quotidien, je dois m’adapter malgré mes propres routines et mes particularités sensorielles, un grand challenge.
Ma mère vient de faire une petite opération, mais tout va bien, elle a l’air en forme. Elle est active, directe et parfois chiante, son caractère n’a pas du tout changé. Elle me donne des compléments alimentaires et surveille de près que je les avale : il faut que ce soit 30min après le repas, il ne faut pas laisser l’eau se refroidir, tiède est parfait, il ne faut pas manger des glaces pendant ces « traitements », il ne faut pas boire de thé non plus…
Tous les matins un peu après 6h, ma mère se lève et allume dans le salon : là où je dors sur le canapé, donc je suis réveillée par cette lumière aveuglante. Quand on va au marché, elle me tenait sous son ombrelle, les pointes des tiges en métal piquaient de temps en temps ma tête. J’ai dû acheter un grand chapeau qui me protège du soleil, pour finalement marcher tranquille à côté d’elle. Il faut mettre des gants anti-UV aussi, elle n’aime pas que je mette le bas de mon T-shirt dans mon short, il faut le laisser en-dehors… C’est ma mère. J’ai 42 ans, là je revis comme si j’avais 12 ans.
Mon père a mal au dos. Il y a une partie qui appuie sur ses nerfs, il marche difficilement à cause de la douleur qui le transperce jusqu’à sa jambe. Il y a 4 ans, les médecins lui ont déjà proposé de faire une opération, ça a traîné. Au mois de juin, son état s’est aggravé : quand il est retourné à l’hôpital, ils ont dit qu’il n’y aurait pas d’autre solution que d’opérer, et que ce ne serait pas une opération simple. Avant que je rentre en Chine, je l’avais convaincu que je pourrais l’accompagner pour son opération. S’il préférait aller consulter d’autres médecins dans d’autres hôpitaux, on pouvait aussi y aller. Mais depuis que je suis rentrée, il ne veut plus rien faire. Même quand je propose de prendre un RDV pour lui, il s’énerve. Si lui-même, il n’a pas la volonté de faire l’opération, il n’y a personne qui pourra le forcer. Je vois mon papa qui souffre tous les jours, il ne sort presque plus, il ne voit personne.
Quand on lui demande des petites choses, genre «je n’ai plus de dentifrice, il y en a en réserve ou il faut en racheter ? » ça le dérange, il se met à crier. Quand il me parle de quelque chose, si je réagis ou fais un commentaire, il va me crier « arrête de t’énerver ! » Je ne sais plus comment communiquer avec mon papa, le sujet de soigner son dos devient interdit. Je vois bien des signes de dépression, il laisse tomber sa santé, c’est très inquiétant. Mais impossible de lui en parler, j’ai peur de sa réaction.
J’avais préparé pour que mes parents viennent me rendre visite en France. Je me suis dit que changer d’environnement, voyager et voir un peu le monde extérieur, pourrait ouvrir l’esprit et redonner de la confiance à mon papa. Malheureusement, à cause de son dos, il ne peut pas faire un si long voyage. La question se coince, je ne sais pas quoi faire.
Ma mère est au courant du problème de mon papa, mais après tant d’efforts, elle a fini par le laisser faire. Je comprends bien que ma mère a subi ses hauts et bas, elle ne veut plus se battre pour lui. Je sais bien qu’un jour je vais sûrement regretter de ne pas avoir « sauvé » mon papa.