Dans la même tessiture, on peut avoir plein de couleurs et de styles différents.
La voix de ténor par exemple : j’aime autant Ian Bostridge que Jonas Kaufmann, mais leur couleur vocale est très différente, chacun est spécialisé dans son répertoire.
La légèreté et la luminosité de Bostridge sont parfaites pour la délicatesse des lieder et mélodies françaises. Sa voix est comme un petit ruisseau en pleine nature qui coule tranquillement.
La profondeur et la puissance de Kaufmann conviennent à l’expressivité et l’énergie des opéras dramatiques. Ces dernières années, il s’est surtout spécialisé en Wagner.
Ça me fait réfléchir sur la question de notre identité vocale : est-ce qu’on connaît vraiment la couleur et le caractère de notre propre voix ? Je vois pas mal d’élèves en chant qui découvrent petit à petit, qui sont surpris ou confus de leur transformation. Ceux qui ont cru avoir une voix légère, celle-ci devient plus riche en maîtrisant leur appareil respiratoire. Ceux qui ont des soucis pour les aigus, qui croient avoir une voix grave, découvrent une facilité dans les aigus… Après quelques temps de travail professionnel, il est possible de changer votre perception et acoustique vocale. Ce n’est pas toujours comme ce que vous imaginez.
Et puis il y a le goût de chacun. Un élève ténor, qui adore la voix de Kaufmann, rêve de chanter les opéras « costauds ». En vrai, il a une voix beaucoup plus claire et légère : les airs « costauds » ne sont pas pour lui. Vous imaginez Bostridge qui chante Wagner ? C’est impossible. C’est même dangereux de chanter des airs qui ne conviennent pas à notre capacité vocale, car ça provoque toutes sortes de forçages. Les cordes vocales vont souffrir.
Quand il y a ce genre de décalage entre le rêve et la réalité, pas besoin de chercher à convaincre.
Le plus important, c’est de trouver le style de répertoire qui met la voix en valeur, sans forcément fixer une étiquette de tessiture dessus. Dans le monde du chant lyrique, il y a des styles différents, des périodes musicales différentes, des compositeurs différents, qui demandent des capacités techniques et couleurs de voix différentes. On peut toujours trouver le répertoire qui fait le bonheur de notre voix.
Quand la voix résonne bien dans le corps, il n’y a pas de raison qu’on ne l’apprécie pas. Le confort vocal et l’aisance corporelle sont les meilleurs éléments pour avoir une longévité musicale.
La voix est tellement flexible, on ne chante pas non plus le même répertoire toute la vie. Sous l’influence des hormones et de la vieillesse, quelques changements de programme sont tout à fait normaux. Être chanteur nécessite d’avoir cette sensibilité en respectant son corps, et avoir une énorme curiosité pour aller découvrir de nouveaux horizons.