Quand j’ai fait mes études au CEFEDEM, j’ai passé 2 ans en enfer. C’était la pire expérience de ma vie étudiante. Et pourtant, c’était un établissement où on apprend comment enseigner, ironique ! Depuis longtemps j’avais envie d’écrire ce que j’ai vécu au CEFEDEM. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai le courage de me rappeler et réorganiser dans ma tête ces souvenirs ennuyeux.
CEFEDEM signifie Centre de Formation des Enseignants de la Danse et de la Musique. C’est pour les élèves en musique qui ont déjà eu leur DEM ou une licence. Il nous fournit un Diplôme d’État en enseignement artistique à la fin des études. On était une trentaine de musiciens, d’instruments et d’esthétiques différentes, à chaque promo. Dans mon année, on n’était que 2 en chant.
Quand j’ai réussi mon concours d’entrée au CEFEDEM, j’étais enthousiaste. J’avais des attentes précises. J’avais envie d’en savoir plus sur la voix d’homme, leur physiologie, leur répertoire, leurs difficultés techniques… Parce qu’en tant que femme, je ressens plus facilement le même type de voix avec ma propre expérience, mais pas la voix d’un autre sexe.
Je me souviens qu’on avait des cours très théoriques. Le cours le plus extra était « science de l’éducation ». Pendant les cours, on lisait des dossiers qui parlaient de la recherche et l’analyse de l’enseignement, mais qui n’avaient pas de lien avec la musique. Et puis la prof nous laissait en discussion libre, chacun pouvant dire ce qu’il pense. Le concept a l’air pas mal, non ? Mais il n’y avait pas d’encadrement, la discussion ne menait nulle part, ni de conclusion à la fin. J’étais perdue au fur et à mesure. Il y avait quelques fois des collègues qui se disputaient entre eux, ou le ton qui montait contre la prof, je ne comprenais même pas pour quelles raisons. Finalement j’ai choisi d’être absente mentalement. Quand je sais qu’il n’y aura pas de but, ça m’ennuie de faire ce « chemin ».
On a appris la danse traditionnelle, dont je me souviens plus du tout le nom ou le style. J’ai chanté de la bossanova pour le projet de la semaine de pratique. On est allé dans des conservatoires pour observer les cours… De toute façon, je n’ai pas eu l’occasion d’apporter ce que j’ai envie, je n’ai pas eu un seul cours de chant pour moi-même. Le CEFEDEM nous apprend tout ce qui est à côté, sauf approfondir notre propre spécialité pour enseigner par la suite.
On était 4 ou 5 élèves en groupe, suivis par une prof référente, qui était ancienne diplômée du CEFEDEM. Notre prof référente était intermittente du spectacle, qui enseignait 5h par semaine dans un petit conservatoire. Ces profs référents sont censés nous trouver une question pédagogique (au CEFEDEM, il faut toujours trouver des questions, même si ce ne sont pas tes vraies questions), et nous donner des pistes, comme des documents, des gens à contacter, des cours auxquels participer, pour répondre à notre question. Notre prof référente nous faisait souvent des discours de 3h, où j’ai eu envie de l’étrangler… Il y avait une fois, elle nous a demandé : le point commun quand on joue de la musique. J’ai dit : la respiration. Les bons musiciens savent respirer dans leur musique. Elle m’a dit : non, nous, les percussionnistes , on ne respire pas quand on joue. Je lui ai demandé de me préciser que si c’était elle qui ne respire pas, ou tous les percussionnistes qui ne respirent pas. C’est important de savoir qu’il s’agit du problème d’une mauvaise musicienne ou d’une mauvaise discipline instrumentale.
Notre groupe n’était pas le pire. Il y en a qui devaient faire 3h de route pour aller voir leur prof référent dans une école de musique de campagne, qui fait jouer les enfants sans instruments fixes, sans partition et sans déchiffrage. Une fille de ce groupe n’en pouvait plus : c’est du n’importe quoi, les gamins n’apprennent rien ! Vous imaginez faire réciter Molière par des illettrés ? Ils ne seront jamais autonomes dans leur apprentissage.
Le CEFEDEM a énormément d’enthousiasme pour soutenir ce genre de méthode (sans méthode) innovante. Ils croient bien que toute la population française a un talent exceptionnel, que ce sont des génies.
Pendant les cours, on devait se mettre en cercle, le prof au milieu, blabla. Je déteste cette configuration, tout le monde se voit, il n’y a pas de « coin isolé ». Pour la pause déjeuner, tout le monde mangeait dans le grand salon d’entrée. Je me trouvais toujours parmi ce monde, je me sentais lourde et désespérée. J’allais souvent déjeuner chez McDonald’s, pour avoir un moment toute seule, libre et tranquille, mais moins équilibré en nourriture…
Le matin on était censé avoir le premier cours à partir de 9h. Mais on n’a jamais commencé à 9h. Quand il y avait des retards, les profs retardaient leur cours pour attendre les retardataires. Et comme les cours commençaient plus tard, tout le monde venait encore plus tard. On était dans un cercle vicieux infernal. Il n’y avait pas de respect pour les profs, pas de respect pour les élèves qui étaient à l’heure, ni de punition pour les retards… Les élèves, nous devions bientôt travailler dans des établissements musicaux, on devait apprendre comment gérer nos élèves, et les classes. Ça m’a fait mal au cœur de voir ces profs qui ne montraient pas un bon exemple pour gérer le temps.
Une fois par mois, on avait une fameuse réunion qui s’appellait « mille-feuilles ». C’était pour discuter de tout et de rien. On pouvait aborder les sujets de notre projet, de prof référent, de l’organisation de local… Malheureusement, le sujet éternel retombait souvent sur les cagnottes du café. J’en avais tellement marre de toutes ces discussions inutiles. Il y avait une fois, comme le temps était dépassé, je me suis levée pour partir : une prof m’a interdit de quitter la salle. Je lui ai dit que je ne buvais jamais de café, le sujet ne me concernait pas, et en plus on devait respecter le temps. Je suis partie tranquille, devant tout le monde.
Un collègue de CEFEDEM a dit : on a passé un concours d’entrée si dur, pour finalement enculer des mouches chaque jour. L’expérience au CEFEDEM est inoubliable dans toute ma vie. J’étais obligée de rester en cours pour écouter des choses qui ne m’intéressaient pas. J’étais aussi obligée de participer à des projets que je n’aimais pas avec des gens que je n’appréciais pas. Quand je rentrais chez moi après mes cours, je me disais : encore une journée de gaspillage, je dois continuer pour un seul but, avoir mon diplôme. Je ne peux pas imaginer pire. Sauf 2 ou 3 collègues avec qui on garde encore un peu contact, je ne me suis pas fait d’amis. On était tous un peu perdus, c’était ennuyeux pour nous tous.
A la fin de mes études, j’avais compris. En fait, le CEFEDEM nous montrait ce qu’il ne faut pas faire, dans notre future vie professionnelle. J’ai appris à ne pas devenir une prof comme tout ce que j’ai vécu au CEFEDEM. Dans mon travail, il faut bien organiser pour encadrer tout le monde, donner toujours des raisons pour apporter une réponse.