Mon vieux Bach occupe une place spéciale dans mon monde de musique.
Je précise qu’ici je parle seulement de Johann Sebastian Bach. Si on cherche les musiciens au nom de Bach, on va en trouver une trentaine : Jean-Sébastien a eu 21 enfants qui forment une grande famille de musiciens.
Il y a tellement de belles choses chez Bach. Dans son immense répertoire de 1200 œuvres environ, on peut facilement trouver quelque chose qui nous plaît. Mais il y a aussi des choses qui me gênent, comme ses œuvres pour clavecin, orgue ou encore flûte à bec. Je n’aime pas le son de ces instruments : je pense que c’est pour cela que je ne suis pas fan de la musique baroque.
Quand j’étais très jeune, j’aimais passer du temps au piano pour déchiffrer. Je comprends assez rapidement une nouvelle partition : sa mélodie, son harmonie, sa structure…
Je vois maintenant les élèves au conservatoire qui souffrent en cours de formation musicale. Il y a l’ordre, l’exigence et la logique à respecter. : ça peut provoquer une sorte de « contrainte » dans l’apprentissage. Mais moi, j’ai appliqué ça plutôt comme un loisir dans ma pratique musicale.
Les partitions coûtent cher, mais j’aime bien acheter celles de Bach : parce que je vais passer plus de temps dessus, ça vaut le coût. Il faut jouer plusieurs fois pour découvrir sa composition. C’est calculé mathématiquement, avec une intelligence d’organisation surhumaine. Si le lendemain je revois le même morceau, je peux encore trouver de petits indices intéressants, c’est un jeu infini.
Dans le monde de la musique, on critique la musique de Bach comme « austère » : je ne suis pas du tout d’accord. Au contraire, il a créé sa musique comme on joue au tangram : pour assembler, combiner, varier, moduler.
Il a écrit tant de choses, il devait avoir une vitesse vertigineuse pour composer. Si Bach avait vécu à l’époque d’Albert Einstein, il aurait risqué comme lui de se faire prélever et conserver son cerveau.
Ses œuvres vocales sont musicalement hyper riches et techniquement hyper chiantes. Il ne nous laisse jamais le temps de respirer. Souvent l’accompagnement joue une autre mélodie qui est différente de ce qu’on chante, c’est perturbant pour les chanteurs qui n’ont pas de niveau solide en formation musicale.
Quand j’étais au conservatoire de Chine, on a eu un examen de fin d’année : analyse de contrepoint. J’avoue que ce n’était pas une matière séduisante parmi mes cours obligatoires.
Il y avait 2 partitions, une de Bach et une de Chostakovitch. On devait noter sur ces partitions toutes les techniques de contrepoint trouvées, comme : une mélodie – renversement de cette mélodie – imitation mélodique superposée – polymélodie – augmentation de la durée – harmonie synchronisée… En allant jusqu’à la fin de partition, j’ai trouvé que tout est écrit par mouvement rétrograde (peut se lire dans les deux sens, comme un palindrome en littérature), génial ! J’étais ravie de passer un examen aussi rigolo.
Une semaine après, la prof de contrepoint nous a annoncé qu’elle était très surprise que la meilleure note se trouve dans la classe de chant : c’était moi. J’ai eu un résultat parfait, rien n’avait échappé à mes yeux. À mon grand étonnement, je suis devenue « la reine du contrepoint ». Pourtant, je n’étais pas intéressée par le contrepoint, mais fascinée par la recherche d’indices : c’était un profilage musical. À travers l’écriture des compositeurs, je trouve leur motivation, leur caractère et leur imagination.
Ces petites « coïncidences chanceuses » me donnent une sensation particulière envers la musique de Bach. Quand je l’écoute, elle ne me touche pas particulièrement, mais sa logique me réconforte. Quand je la joue, sa mélodie ne m’attire pas, mais je passe du temps à m’amuser. Je ne peux pas dire que j’aime sa musique, mais j’en ai toujours quelques unes en réserve.