Le vendredi matin, je vais au marché. J’achète les fruits et légumes adorables toujours dans le même stand. Ils sont placés dans le même ordre, je salue toujours le même vendeur. C’est ma grande activité hebdomadaire.
J’ai eu plusieurs fois des personnes âgées qui me parlent, genre « Les pastèques sont bonnes, hein ?… Elles ne sont pas chères… Oh, elles sont toutes fraîches !… » Chaque fois ça me choque, je suis incapable de réagir, comme si j’avais un trou. Quelques minutes plus tard, je me dis que j’aurais dû répondre quelque chose. Ces pauvres vieux se sentent seul, ils ont envie de parler aux gens. Mais trop tard : ils ne vont pas me coller pendant 5 minutes pour attendre ma réaction (heureusement).
Quand on est invité pour une soirée, j’ai la migraine, j’ai mal aux dents, mes yeux me grattent, j’ai chaud, j’ai froid, je n’ai pas coupé mes ongles, je ne sais pas comment m’habiller, je ne retrouve plus ma carte de transport, il y a trop de vent… Je vais trouver tous les prétextes pour ne pas y aller. Ma copine a l’habitude de ce cirque, elle ne me force pas. Elle préfère y aller toute seule, plutôt que subir mes couinements en chemin et ma sale tête pendant toute la soirée.
Dans une soirée, à force de dire bonsoir et sourire à tout le monde, ça m’épuise au bout de 10 minutes. Je sens que je me perds petit à petit. J’entre dans un état hors connexion, où je ne me reconnais plus moi-même. Je n’écoute plus ce qu’ils disent, je n’arrive plus à m’exprimer, je ne trouve plus mes mots. Ma gentillesse, mon humour n’existent plus. Je suis en train de tomber dans un trou souterrain, qui m’étouffe. Cette sensation de solitude mortelle, mais entourée par autant de monde, est si étrange. Ça me rend tellement triste et nerveuse. J’avoue sincèrement que je fais un effort, mais je suis battue à chaque fois.
Je reste dans un coin comme une sourde-muette. En regardant l’heure, 22h est trop tôt pour me casser de cet enfer, sois polie ! 22h30, quelle merde, pourquoi je suis là ? J’aurais dû rester chez moi dans le canapé, pour une soirée tranquille en lisant quelques histoires de tueuses en série. 23h, il ne reste pas beaucoup de moyens de transport en commun pour rentrer, ça me stresse.
Dans un déroulement de soirée, les gens boivent, ils font connaissance, ils se relâchent. L’ambiance devient de plus en plus bruyante au fur et à mesure. Les gens parlent de plus en plus fort, la musique est de plus en plus insupportable. Les gens hurlent quand ils sont contents. Les gens hurlent quand ils ne sont pas contents. On peut quand même mieux s‘exprimer que les animaux sauvages…23h30, les gens se mettent à danser, j’ai envie de me suicider.
Je ne sais pas si vous avez remarqué : quand on entend de la musique très fort, soit par la fenêtre d’une voiture, soit dans un magasin, ou bien dans une soirée, ce n’est jamais de la musique classique. Ce sont souvent des musiques brutales et mal chantées. J’hallucine : les gens n’ont pas honte de montrer leur mauvais goût musical. Je roule mes yeux au ciel…
J’ai lu un petit fait divers sur une dame espagnole. Elle a fait semblant d’être aveugle pendant 15 ans, parce qu’elle n’avait pas envie de dire « bonjour » aux gens. J’admire sa détermination et son intelligence. Ça m’apporte une bonne inspiration : je peux essayer de faire comme si je ne comprenais pas le français.