Je me souviens très bien quand j’étais petite (2 ou 3 ans), mon jouet préféré était un parapluie noir. Le grand parapluie noir ouvert, posé par terre, je me cache en-dessous. Je peux m’asseoir dessous des heures. On a encore gardé quelques photos dans la famille, on voit cette fameuse scène de « jeu ». Qu’est-ce-que je faisais, je n’en ai aucune idée, peut-être que j’avais juste envie de me réfugier là, tranquille.
Ma mère raconte souvent 2 petites histoires qui la font rigoler.
Quand j’avais 11 mois, je commence à parler. Un peu plus grande, quand on monte dans un bus, je dis « bonjour » à tout le monde autour, un par un, et puis je refais le tour, sans arrêt. Les gens sont ravis au début, genre « elle est si petite et si polie, c’est trop mignon… », mais ils finissent par se sentir gênés et détourner leur tête.
Il y avait une fois, mon oncle est venu, ma mère m’a demandé d’aller chercher quelques clémentines qui sont dans la cuisine. Mon oncle ajoute « Il faut que tu choisisses les plus sucrées pour moi ». Au bout d’un moment, je n’ai toujours pas apporté les clémentines. Ma mère est venue me voir dans la cuisine. Je suis en train d’ouvrir chaque clémentine et goûter, pour choisir celles qui sont plus sucrées, pour mon oncle.
Quand je vois ces petites choses maintenant, elles représentent déjà les traits autistiques dans la communication verbale. La compréhension trop littérale et trop généralisée, le manque de sensibilité aux indices sociaux.
J’étais une enfant de « caractère », pas souriante, pas très sociable. A l’école, je n’aimais pas jouer avec les autres, mon isolement me donnait un aspect d’arrogance. Mais il n’y avait rien qui m’empêchait de grandir comme les autres. J’ai très bien fait mes études, même plus d’études que les autres enfants autour. J’étais toujours libre dans mon petit monde, à bien développer mes intérêts. Mon héros d’enfance était M. Sherlock Holmes, j’ai lu toutes ses histoires par la plume de Conan Doyle. Et puis les nymphéas de Monet, les champs de blé de Van Gogh, les dames mystérieuses de Klimt. Bien sûr dans la musique, je m’amuse avec les sonates de Mozart, les inventions de Bach…
Je pense qu’il me manquait quelqu’un avec qui je puisse partager, à qui me confier. J’avais une profonde solitude. Sinon je n’ai pas de regrets sur mon enfance. Je me suis bien adaptée, à me débrouiller comme tout le monde. J’ai pu choisir mes études selon mes envies. Mon esprit n’a jamais été coincé par mes « bizarreries ». J’ai appris à être quelqu’un de solide et autonome.
Je me demande si c’est une chance de me faire diagnostiquer si tard. J’ai eu une éducation stricte dans mon enfance. J’imagine bien, avec ma maman qui voulait que je sois parfaite, si elle avait su que je suis Asperger, elle aurait voulu tout me « corriger ». J’aurais peut-être été internée dans un centre spécialisé, j’aurai grandi comme une malade ou handicapée. Qu’est ce que je serais devenue ?